MOREAU   Jean Michel  (Le Jeune)
(1741-1814)

«Le plus illustre des vignettistes du XVIIIe siècle fut aussi l'un des plus remarquables graveurs à l'eau-forte de son temps », écrivent Portalis et Beraldi. A le considérer seulement sous ce jour, son oeuvre est considérable et dépasse deux mille pièces, parmi lesquelles on négligera ici les illustrations et les estampes historiques, pour s'en tenir aux gravures de moeurs.
Né à Paris le 26 mars 1741, frère cadet de Louis Gabriel Moreau, le peintre et graveur de paysages, Moreau le jeune entra chez Le Lorrain et se destina d'abord à la peinture; son maître, ayant été appelé à la direction de l'Académie des beaux-arts de Saint Pétersbourg, l'emmena avec lui et le fit nommer professeur de dessin dans cette Académie. Dix-huit mois plus tard, Le Lorrain mourait et Moreau, revenu à Paris, entrait dans l'atelier de Le Bas, afin d'être, grâce à la gravure, plus rapidement en mesure de gagner sa vie. Il travaillait beaucoup, mais sans aucune facilité, et ses débuts, très pénibles, ne laissaient guère prévoir l'abondance et la souplesse merveilleuses dont il devait donner tant de preuves par la suite.
Après quelques petites pièces parues vers 1761 et diverses collaborations à des ouvrages illustrés, il se fait remarquer par les eaux-fortes de la Bonne éducation et de la Paix du ménage, d'après Greuze, que termine Ingouf, et surtout par celle de la Philosophie endormie, magistrale préparation que termine Aliamet. Cependant, Le Bas le pousse à travailler le dessin, et le résultat ne se fait pas attendre, dès 1766, un an après son mariage avec la fille du sculpteur François Pineau, il se révèle comme un maître en illustrant de dessins gravés par lui-même l' Histoire de France du président Hénaut. On sait combien sa production, en ce domaine de la vignette que nous n'avons pas à étudier ici, fut riche, diverse et toujours exquise, et que la grâce et le goût dans l'invention ne sont pas inférieurs, chez cet artiste complet, à la légèreté, à l'accent et à l'esprit de la traduction. Pour ses grandes planches, qui n’aurons jamais le nombre de celles que Moreau a préparées à l'eau-forte et que Le Bas a terminées et signées, comme il l'a fait pour la Revue de la Maison du Roi au Trou d'Enfer, d'après Le Paon, vaste composition à laquelle Moreau donnera plus tard un pendant en dessinant la Revue de la Plaine des Sablons, gravée par Malbeste? Il a aussi gravé les eaux-fortes de plusieurs paysages de J. Vernet, celles du Couché de la mariée et du Modèle honnête, terminées par Simonet avec un tact remarquable.
Célèbre à trente ans, dessinateur et graveur du Cabinet du Roi, puis dessinateur des Menus Plaisirs en remplacement de Cochin, agrée à l'Académie le 29 avril 1781, académicien le 4 avril 1789, Moreau le jeune a désormais de moins en moins le loisir de graver, tant il est surchargé de commandes; et l'on peut dire qu'à partir des Chansons de La Borde (1773), un de ses chefs d'oeuvre, le dessinateur prend le pas sur le graveur. Ainsi, quand il est chargé par Eberts de continuer le Monument du costume,  mais se borne à en choisir et sans doute à en diriger les interprètes, d'ailleurs excellents.
Comme dessinateur et graveur des Menus, on lui doit le Sacre de Louis XVI a Reims en 1775, vaste et magnifique page, gravée en 1779, qui relève au premier chef de la gravure d'histoire; quatre planches commémorant les Fêtes données par la Ville de Paris en janvier 1782, à l'occasion de la naissance du Dauphin: le Festin royal, le Bal masqué, l'Arrivée de la reine à l'Hôtel de Ville et le Feu d'artifice; enfin, en 1789, l'Ouverture des États Généraux et la Constitution de l'Assemblée nationale.
En 1785 et 1786, il avait fait un voyage en Italie avec l'architecte Dumont. Il était en outre lié avec David. Rien d'étonnant qu'il se soit converti aux idées nouvelles. Mais ce qui l'est davantage, c'est qu'il ait pu se transformer sans cesser de produire des ouvres toujours estimables, trop rabaissées aujourd'hui après avoir été trop élogieusement accueillies. La décadence ne se fit sentir que sous l'Empire, et Moreau le jeune ne la connut pas trop longtemps, puisqu'il mourut le 30 novembre 1814.


Choiseul

Ét. Fr, duc de Choiseul.

J.-M. Moreau le Jeune 1771.
H. 0,134 x L. 0,098.
 Épreuve avant la lettre.   2e état.   E. Bocher, Moreau le Jeune, n° 2.

On connaît six états de cette planche qui appartient à la meilleure époque de Moreau le Jeune. Dans son dernier état, le sixième, la planche sert de frontispice au Cabinet Choiseul.
Protégé de Mme de Pompadour, Choiseul (1719-1785) fut ambassadeur, ministre et duc et pair. C'est sous son gouvernement que la Corse devint française. Il favorisa la réorganisation de la Marine française, d'où la colonne rostrale qui soutient son médaillon.


Benjamin de La Borde.
J.-Bn de La Borde.
Denon del. 1770.    J.-M. Moreau le Jn. sculp. 1771.
H. 0,169 x L. 0,125. 
3e état.   Bocher, Moreau le Jeune, n° 21.

Gréty.
 A. E. M. Grétry.
Dessiné et gravé par son ami Moreau le Jeune 1772.
H. 0,099 x L. 0,099.
2e état.   Bocher, Moreau te Jeune, n° 3.

Benjamin de La Borde publia en 1772 une suite de Chansons que rendirent à jamais: célèbre les illustrations de Moreau le Jeune.
Ancien fermier général et favori de Louis XV, il était, pendant la Révolution, caché en Normandie, quand son fils, officié à l'armée de Coblentz, eut l'étourderie de lui adresser une lettre portant ses noms, qualités et adresse. Cette imprudence le livra au tribunal révolutionnaire qui le fit exécuter.
Quant à l'auteur du crayon, Vivant Denon, qui a été graveur. Le dessin de ce portrait date de son retour de Russie.

Ce portrait de Grétry fut annoncé au Mercure de France de juillet 1772. Le rédacteur le juge « gravé d'une pointe spirituelle et légère ».
Grétry (1741-1813), né à Liége, vint à Paris en 1768 et ne tarda pas à y devenir le compositeur le plus à la mode. Il avait donné en 1771 Zémire et Azor et devait faire jouer en 1784 Richard Cœur-de-Lion.


Le Couché de la mariée.
Gravé à l'eau-forte par Jean-Michel Moreau le jeune et terminé par Jean-Baptiste Simonet.
H. 0,383 x L. 0,308.
Reproduction du 1er état d'eau-forte pure par Moreau le jeune,
et celle de l'état terminé par Simonet.
E. Bocher, Baudouin, n° 16, et Moreau le Jeune, n° 232.

Cette gravure célèbre, dont la merveilleuse préparation d'eau-forte (peut-être le chef-d’œuvre de Moreau le jeune en ce genre) est datée de 1768, ne fut terminée que deux ans plus tard, à en juger par la date de son annonce au Mercure en septembre 1770; elle était en vente chez l'auteur « rue de la Harpe, vis-à-vis M. le Bas, graveur du Cabinet du Roi », au prix de 3 livres.
« Cette estampe, dit le Mercure, est une de celles dont la composition fait le plus d'honneur à M. Baudouin. La mariée est ici représentée dans le moment que, soutenue par sa mère, elle va se mettre au lit. Un reste de pudeur qu'elle fait paraître semble donner un nouveau prix aux faveurs qu'elle est prête à accorder. Son jeune époux s'est saisi d'un de ses bras et, un genou en terre, lui jure un amour éternel. Toute cette scène respire une volupté douce et pure. La chambre ou elle se passe est richement ornée. Des femmes qui s'empressent de servir la mariée donnent du mouvement à la composition de cette estampe, dont la gravure délicate et soignée ne peut manquer de plaire aux amateurs.
A côté de cette description en style de catalogue, il faudrait placer la fameuse diatribe de Diderot sur le tableau, exposé au Salon de 1767, en même temps que le Fruit de l'amour secret. De ces compositions de Baudouin, Diderot écrit: « Toujours petits tableaux, petites idées, compositions frivoles, propres au boudoir d'une petite maîtresse, à la petite maison d'un petit maître; faites pour de petits abbés, de petits robins, de gros financiers, ou d'autres personnages sans mœurs et d'un petit goût ». Et analysant le Couché de la mariée, Diderot en fait un magnifique et tendancieux « éreintement », critiquant tour à tour le sujet, le sens du tableau, d'ou, un couplet sur la nécessité, pour les peintres, de s'en tenir aux « sujets honnêtes », et enfin l'exécution. Aujourd'hui, nous ne sommes pas aussi sévères pour Baudouin, tant s'en faut, et peut-être... grâce à Moreau le jeune !
On pourra voir ici la reproduction de l'état d'eau-forte et celle de la pièce terminée. On trouvera par ailleurs, avec le Modèle honnête du même Baudouin et avec la Philosophie endormie de Greuze, deux exemples analogues de planches terminées, l'une par Simonet et l'autre par Aliamet, sur des préparations à l'eau-forte de Moreau le jeune.


 Le Festin royal.
 Bal masqué.

Gravé par lui-même. Chaque pièce : H. 0,465 x L. 0,368  
E. Bocher, Baudouin, nos 201-200.

Ces deux grandes estampes ont pour sous-titre : Fêtes données au roi et à la reine par la Ville de Paris, le 21 et23 janvier 1782, à l'occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin; elles se font pendant l'une à l'autre. Il existe deux autres planches de Moreau le jeune, celles-ci en largeur, consacrées à ces mêmes fêtes, portant le même sous-titre, et qui se font également pendant: c'est l'Arrivée de la reine à l'Hôtel de Ville, le 21 janvier, et le Feu d'artifice, tiré le même soir, sur la place de l'Hôtel de Ville, après le festin.
Les quatre dessins originaux figurèrent au Salon de 1783; les gravures à celui de 1789.
Ces compositions avaient été exécutées par Moreau, en qualité de dessinateur des Menus-Plaisirs, d'après des notes prises sur place: à propos du Feu d'artifice notamment, les Mémoires secrets parlent d'un échafaudage dressé en face de l'Hôtel de Ville, pour permettre aux dessinateurs de « lever le plan et dessin de toutes les parties de ce spectacle pour en perpétuer la mémoire aux yeux de la postérité ».
La première planche représente le festin offert au roi et à la reine par la Ville: on y voit une grande table rectangulaire, décorée de trois surtouts en forme de temples circulaires, autour de laquelle se presse la foule des spectateurs. Le Mercure du 26 janvier donne la version officielle des fêtes; tout y est pour le mieux et loué comme il convient. Voici une autre cloche, dont le son est un peu plus aigre: c'est celle des Mémoires secrets (22 et 23 janvier). LL. MM. étant arrivées, y lit-on, « on leur a servi une table de 78 couverts où il n'y avait que le roi et ses deux frères en hommes; du reste, la reine, les princesses et femmes de la Cour. Les autres tables ont été fort mal servies, non à défaut de victuailles, mais par le peu d'intelligence de ceux qui présidaient aux distributions. Les ducs et pairs, entre autres, ont dîné avec du beurre et des raves, parce que, Sa Majesté ayant sorti de table promptement, il a fallu lever toutes les tables. ..Le feu d'artifice ...a été mal exécuté et d'ailleurs maigre... »
Le bal masqué eut lieu le surlendemain 23 janvier. «...Le bal qui a eu lieu cette nuit à la Ville était détestable, disent les Mémoires secrets (24 janvier), par la difficulté d'y aborder en voiture, malgré toutes les dispositions prises à cet effet; pour la cohue immense qui s'y est trouvée en plus grand nombre que l'on pouvait contenir la superficie de l'Hôtel ; enfin, pour l'espèce de monde, dont la plus vile canaille de Paris faisait la plus grande partie... Leurs Majestés se sont trouvées elles-mêmes si pressées que la reine a crié un moment: J'étouffe, et que le roi a été obligé de se faire place à coups de coude. Malgré cela, ils ont paru s'amuser... »
Sur l'estampe de Moreau, on voit Louis XVI en domino, la tête nue, suivi de la reine; ils se dirigent vers la droite, précédés de gardes qui leur font place à travers la foule.
On ne peut s'empêcher de faire un rapprochement entre ces gravures des fêtes de 1782 et celles des fêtes de 1745 et 17 47. Les deux dessinateurs des Menus à qui l’on doit ces chefs-d’œuvre n'avaient ni la même façon de concevoir, ni la même manière de graver : l'un, Cochin, travaille surtout le détail dans son dessin, multipliant les figures et les groupes, fouillant les architectures, et c'est quand il grave qu'il fait les sacrifices nécessaires; au contraire, l'autre, Moreau, plus synthétique peut-être dans sa composition dessinée, emploie une manière de graver plus menue et pour ainsi dire plus fignolée que son devancier ; l'admirable, c'est que tous les deux arrivent par des voies aussi différentes à exprimer avec une puissance que peu d'artistes ont atteinte ce qu'il y a de plus malaisé à saisir et à rendre dans les spectacles de la vie: l'agitation mouvante, le frémissement et le papillotement de la foule.

Haut de page

Retour_page_d'accueil

ALIAMET  Jacques
ALIX Pierre Michel
AUBERT Michel
AUDRAN  Benoît II
AUDRAN  Jean
AVELINE  Pierre Alexandre
AVRIL Jean-Jacques
BALECHOU Jean-Joseph
BAQUOY  Jean Charles
BEAUVARLET  Jacques Firmin
BERVIC Jean Guillaume
BLOT  Maurice
BOISSIEU Jean-Jacques
BONNET Louis Marin
BONNEVILLE  François (De)
BOUCHER François
CARMONTELLE  Louis Garrogis (De)
CARS  Laurent
CATHELIN  Louis Jean-Jacques
CAYLUS  (Le Comte De)
CAZENAVE
CHAPONNIER Alexandre
CHAPONNIER François Philippe
CHEREAU François
CHEREAU  Jacques
CHOFFARD  Pierre Philippe
CHRÉTIEN  Gilles Louis
COCHIN  Charles Nicolas (Le Fils)
COCHIN  Charles Nicolas (Le Père)
COPIA Jacques Louis
COURTOIS  Pierre François
CREPY  Louis
DAGOTY  Jean-Baptiste André Gauthier
DARCIS  Louis
DAUDET  Robert
DAULLE Jean
DEBUCOURT  Philibert Louis
DEMARTEAU  Gilles
DENON (Le baron vivant)
DEQUEVAUVILLER  François

DESCOURTIS  Charles Melchior
DESPLACES  Louis Philippe
DREVET  Claude
DREVET  Pierre
DREVET  Pierre Imbert
DUCLOS  Antoine Jean
DUNKER Balthazar Antoine
DURET Pierre Jean
FESSARD Etienne
FICQUET  Étienne
FIESINGER  Jean Gabriel
FILLOEUL Pierre
FLIPART Jean Jacques
FRANÇOIS  Jean Charles
GAILLARD  René
GAUCHER  Charles Étienne
GILLOT  Claude
GRATELOUP Jean Baptiste (De)
GUYOT  Laurent
HELMAN Isidore Stanislas
HUQUIER Gabriel
INGOUF  François Robert (Le Jeune)
JACOB Louis
JANINET Jean François
JOULLAIN François
LA LIVE DE JULLY Ange Laurent (De)
LARMESSIN  (Nicolas III, De)
LAUNAY  Nicolas Delaunay, ou (De)
LE BAS  Jacques Philippe
LE BEAU  Pierre Adrien
LE BLON  Jean Christophe
LE CHAMPION I. A.
LE COEUR  Louis
LE MIRE  Noël
LE PRINCE  Jean Batiste
LE VASSEUR  Jean Charles
LE VEAU  Jean Jacques André
LEGOUAZ Yves Marie
LEMPEREUR  Louis Simon
LÉPICIÉ  Bernard

LIÉNARD  Jean Baptiste
LIGNEE  Charles Louis
LIOTARD  Jean-Michel
LONGUEIL  Joseph (De)
MALBESTE  Georges
MALEUVRE  Jean Pierre
MARCENAY  (De GHUY Antoine De)
MARTIN ( Le Fils)  Jean Baptiste II
MARTINI  Pierre Antoine
MASSARD  Jean
MOREAU  Jean Michel (Le Jeune)
MOYREAU  Jean
NÉE  François Denis
OUDRY  Jean Baptiste
PATAS  Jean Baptiste
PONCE  Nicolas
PRÉVOST  Benoît Louis
QUENEDEY  Edme
RAVENET  Simon François (Le Père)
REGNAULT  Nicolas-François
RIGAUD  Jacques
ROMANET  Antoine Louis
SAINT-AUBIN  Augustin (De)
SAINT AUGUSTIN  Gabriel (de)
SAINT-NON  Jean Claude Richard, Abbé (De)
SARRABAT  Isaac
SAUGRAIN  M.elle Élise
SAVART  Pierre
SCOTIN  Gérard-Jean-Baptiste II
SERGENT  Antoine François
SIMONET  Jean-Baptiste
SURUGUE  Louis (Le Père)
TARDIEU  Nicolas Henri
TARDIEU  Pierre Alexandre
THOMASSIN Henri Simon
VOYEZ  Nicolas Le Jeune
VOYSARD  Étienne Claude
WATELET  Claude Henri
WEISBRODT  Charles
WILLE  Jean Georges