LÉPICIÉ   Bernard
(1698-1755)

On dit de Lépicié «le graveur de Chardin», comme de Filloeul «le graveur de Pater», et de Larmessin «le graveur de Lancret». En effet, ce qui domine dans l'oeuvre remarquable et varié de Lépicié, ce sont les scènes familières de Chardin, dont il a rendu avec beaucoup de talent la simplicité, la vérité et la couleur; aussi ces estampes, de bonne heure appréciées, continuent-elles à juste titre d'être recherchées des amateurs.
Lépicié naquit à Paris le 8 octobre 1698. Après avoir été élève de Mariette le père et de Duchange, il fit un séjour en Angleterre, puis en province, où il pensa un moment abandonner la gravure pour acheter une charge. Revenu à Paris, il fut appelé à collaborer au Recueil Crozat et aux Figures de différents caractères. En même temps, les peintres contemporains le retenaient; entre autres, Pater (dont il a gravé plusieurs pièces de la suite du Roman comique, Nattier, Grimou, Jeaurat, Boucher, Ch. Coypel, qu'il a brillamment interprété (Jeu d'enfants), C. Vanloo, d'autres encore.
Agréé le26 juin 1734, il fut nommé secrétaire et historiographe de l'Académie le 4 mai 1737, et amené de ce fait à renoncer de plus en plus à la gravure pour se consacrer à ses fonctions, qu'il remplissait avec beaucoup de conscience et de dévouement. Mais auparavant, il s'était fait recevoir académicien le 31 décembre 1740 et avait publié, de 1739 à 1744, cette suite d'estampes d'après Chardin qui est certainement son plus beau titre de gloire: la Gouvernante, la Maîtresse d’école, le Château de cartes, le Toton, la Ratisseuse, la Mère laborieuse, la Pourvoyeuse, le Benedicite, etc. Il avait eu dès sa jeunesse une prédilection marquée pour la poésie et donna toute sa vie dans l'innocente manie d'agrémenter ses planches de petites pièces morales ou badines de son cru.
Historiographe de l'Académie, on lui doit les notices biographiques de plusieurs de ses confrères; il a écrit aussi un Catalogue raisonné des tableaux du Roi (1752-1754) que sa mort, le 17 janvier 1755, l'empêcha de terminer.
«Du caractère, de l'énergie, une touche large et moelleuse, dirigée par une profonde connaissance du dessin», c'est en ces termes que le graveur Gaucher apprécie le talent de Lépicié, «également cher aux artistes et aux gens de lettres».
De sa femme, Renée Élisabeth Marlié, elle-même graveur, il eut un fils, le peintre Nicolas Bernard Lépicié (1735-1784.).


 Figures de différents caractères.
 Sept planches gravées par Jean Audran, François Boucher, Benoît II Audran,
Laurent Cars, Bernard Lépicié.
H. et L. respectives: 0,227 x 0,167; 0,224 x 0,159; 0,294 x 0,191; 0,206 x 0,318; 0,306 x 0,232; 0,170 x 0,122; 0,178 x 0,126.
E. de Goncourt, nos 526, 527, 719,425, 528, 499 et 500.

On connaît le procédé de composition habituel à Watteau. Au contraire de la généralité des peintres qui, partant d'un fait concret, d'une idée raisonnée, jettent sur le papier une esquisse d'ensemble et conduisent l'œuvre à bonne fin en reprenant chacune de ses parties, Watteau dessine sans objet défini, sans idée préconçue. Il accumule d'innombrables croquis, toujours pris sur le vif, des ensembles et des détails, des mouvements et des attitudes, des morceaux de paysages, etc., et quand il veut faire un tableau, il consulte ces feuilles d'études, qu'il appelait si justement ses « pensées », comme « un dictionnaire de nature composé à son seul usage » (L. de Fourcaud). Alors, une impression qui l'a traversé, un rêve que son imagination a bercé un instant, se dégagent et prennent vie; il choisit, dit Caylus, les figures qui lui conviennent le mieux pour le moment et il en forme des groupes, « le plus souvent en conséquence d'un fonds de paysage qu'il a conçu ou préparé ».
Ainsi, même s'ils n'étaient pas de parfaites œuvres d'art, ces dessins de Watteau, à la fois évocateurs et documentaires pour le peintre, nous seraient déjà doublement précieux. Or, le souvenir d'un bon nombre d'entre eux, en partie perdus aujourd'hui nous a été conservé grâce aux Figures de différents caractères.
Peu de temps après la mort de Watteau (18 juillet 1721), son ami Jean de Jullienne, ayant formé le dessein de faire graver son œuvre, commença par donner à reproduire des études d'après nature, sans doute celles qu'il avait reçues en legs de Watteau mourant. Il fit paraître, en novembre 1726 et en février 1728, deux volumes in-folio, contenant 351 planches, précédées d'un avertissement et d'une notice biographique. Ces deux volumes, intitulés Figures de différents caractères, de paysages et d'études dessinées d'après nature, forment les tomes l et II de ce qu'on appelle le Recueil Jullienne, ouvrage dont les tomes III et IV sont constitués par deux autres grands in-folio, reproduisant des peintures et des dessins (surtout des dessins d'ornement) du même Watteau, et distribués en 1735.
Les planches des Figures de différents caractères sont des eaux-fortes; la gravure en facsimilé, dite « en manière de crayon » ne sera mise au point que dans la seconde moitié du siècle, et, en son absence, le trait d'eau-forte était le procédé direct, expéditif et synthétique le plus convenable à la traduction de ces dessins.
Pour représenter les Figures de différents caractères, sept planches de sujets variés, dues à cinq auteurs différents par l'âge, la formation et le talent, afin de mieux montrer à quel point les collaborateurs de ce rare et précieux recueil ont su faire passer dans leurs gravures tout
« le feu et l'esprit » des originaux, comme le dit Jullienne lui-même dans son avertissement.
Deux des figures, œuvres de Jean Audran, représentent le plus ancien par l'âge des collaborateurs de l'ouvrage: ce sont celles d'un Mezzetin de profil, assis, une jambe étendue, et d'une femme de profil, assise sur une chaise.
De F. Boucher, qui a gravé près de la moitié de ces planches, on peut voir, d'une part une scène champêtre, un berger agenouillé près de sa bergère, dans un décor bocager, dont il se souviendra plus tard, et une étude d'homme couché, qui est un des personnages de l'Ile enchantée.
Une grande étude de femme, vue en buste, assise dans un fauteuil, un profil d'homme en fraise, coiffé d'un bonnet et un profil de femme portant un bonnet de linge sont des échantillons caractéristiques de la manière de Benoit II Audran, de Laurent Cars et de Bernard Lépicié.


Jeu d'enfants.
Gravé par Bernard Lépicié.
H. 0,377 x L. 0,483.

L'estampe est annoncée au Mercure de novembre 1731.
Si l'on en croit le graveur Gaucher à qui l'on doit les notices du Dictionnaire des Artistes de l'abbé de Fontenay ( 1776) concernant les graveurs, B. Lépicié avait montré dans sa jeunesse un goût très vif pour les vers et, quoiqu'il ait de bonne heure « brisé sa lyre », il ne renonça jamais complètement à la poésie, si tant est qu'on puisse appeler de ce nom les petites pièces rimées, des quatrains, pour la plupart, -dont il agrémenta la plupart des estampes gravées par lui d'après Watteau, Coypel, Chardin, etc., comme s'il avait voulu lutter de platitude avec les Moraine, les Roy et autres faiseurs d'inscriptions plus ou moins mirlitonesques, qui servent de « lettre » à beaucoup d'estampes du même temps. Heureusement pour Lépicié, sa gravure est très supérieure à sa poésie !


Le Roman comique:
Pyramide d'ailes et de cuisses de poulets élevée sur
l'assiette de Destin.

Gravé par Bernard Lépicié.
H. 0,271 x L. 0,373.

Au mois de février 1732, le Mercure, à la rubrique « Estampes nouvelles », signale l'empressement du public pour les gravures de l'Histoire de Don Quichotte d'après Charles-Antoine Coypel, en cours de publication chez Surugue le père. En même temps, il annonce que se continue une autre suite, aussi publiée chez Surugue, celle du Roman comique d'après Pater, dont les huitième et neuvième pièces viennent de paraître.
En septembre 1733, une nouvelle annonce fait part au public de l'apparition des dixième et onzième estampes de cette suite. La dixième est celle dont il s'agit ici; elle illustre le chapitre 10 du tome II de l'ouvrage de Scarron, celui du souper au cours duquel M. de La Garoussière d'un côté et Mme Bouvillon de l'autre entassent à l'envi des cuisses et des ailes de poulet sur l'assiette de Destin qui n'en peut mais. La seizième et dernière planche du Roman comique d'après Pater, Destin retirant Ragotin du rosier, parut au mois d'août 1740.
Quatorze des peintures originales font partie des anciennes collections impériales d'Allemagne.
Les graveurs de ces seize pièces sont Edme Jeaurat, L. et P. Surugue (le père et le fils) et B. Lépicié.
Il a été parlé précédemment d'une autre suite inspirée du Roman comique et due à J.-B. Oudry, publiée de 1727 à 1736. Elle a plus de verve, de verdeur et de vérité que celle de Pater, où tout est d'une élégance conventionnelle et apprêtée, à laquelle ajoute encore le faire délicat et nuancé des graveurs: de ces deux suites, ce n'est pas celle qui paraît au premier abord la plus séduisante qui est la plus conforme à l'esprit du roman.


Le Déjeuner.
"Le Déjeuné"
Gravé par Bernard Lépicié.
H. 0,321 x L. 0,257.
 Le Benedicite.
Gravé par Bernard Lépicié.
H. 0,324 x L. 0, 256.
E. Bocher, Chardin, n° 5; J. Guiffrey, n° 67.

Cette estampe, d'un goût galant, simple et très ingénieux, fut annoncée au Mercure du mois d'août 1744.
Gravée d'après François Boucher par l'interprète attitre de Chardin, il est piquant de la rapprocher du Bénédicte de ce dernier, dont la gravure est aussi de Lépicié. Rien ne fait mieux apprécier la distance qui sépare les deux œuvres originales: l'exactitude, la sincérité et la simplicité de l'une, et tout ce que l'autre présente d'artificiel et de superficiel, avec un arrangement malgré tout réussi.

L'estampe, annoncée au Mercure de décembre 1744, fut envoyée par Lépicié au Salon de 1745.
Le tableau, exposé au Salon de 1740, était, au moment où il fut gravé, dans le Cabinet du Roi; il est aujourd'hui au Louvre. Chardin a répété plusieurs fois ce sujet et il a exposé deux de ces répétitions aux Salons de 1746 et de 1761 ; la dernière se distingue de l'œuvre primitive par de notables variantes.
Cette composition célèbre qu'est le Bénédicte du Louvre compte certainement parmi les tableaux les plus souvent reproduits que l'on connaisse: le burin, l'eau-forte, la gravure en manière noire, la lithographie, le bois l'ont tour à tour interprétée. Pour s'en tenir au XVlIIe siècle, il faut citer la gravure de Petit et celle de Renée-Élisabeth Marlié, la femme de Bernard Lépicié, laquelle, formée par son mari, a laissé un œuvre assez nombreux et assez estime. Mais aucune traduction n'a dépassé celle reproduite ici: grande page harmonieuse et sobre, où la lumière la plus intelligemment nuancée baigne toutes choses, c'est le triomphe de Lépicié, cette lumière de Chardin, et met en relief, avec un sentiment exquis, le groupe si naturel et si vrai de la mère et des enfants.

 

 

 

 

 

 


La Gouvernante.
Gravé par Bernard Lépicié.
H. 0,328 x L. 0,259.
E. Bocher, Chardin, n° 24; J. Guiffrey, n° 18.

La Pourvoyeuse.
Gravé par Bernard Lépicié.
H. 0,325 x L. 0,257.
E. Bouher, Chardin, n° 45; J. Guiffrey, n° 3.

L'estampe, datée de 1739, fut exposée au Salon de 1740; elle est annoncée au Mercure de décembre 1739, qui en donne une description: elle « a parfaitement réussi », dit le journal, et fait aussi bien honneur au talent du peintre qu'à celui du graveur qui a reproduit avec un soin extrême le tableau, un des meilleurs que Chardin ait exposés au dernier Salon » .
En effet, la peinture avait figuré au Salon de 1739. Mariette, dans ses notes pour l'Abecedario, rapporte qu'elle eut un grand succès: « ...Ce qui le mit Chardin tout à fait en réputation, ce fut le tableau de ta Gouvernante qu'il croyait avoir fait pour M. de Julienne, qui avait paru le désirer, mais qui, ayant été acquis par un banquier nommé Despuechs, a été acheté 1.800 1., par M. le prince de Lichtenstein dans le temps de son ambassade en France ». Ce renseigne- ment est confirmé par le Mercure de décembre 1739 : l'estampe, y lit-on après une description détaillée de la scène, porte que le tableau appartient au cabinet de M. le chevalier Despuechs, « mais on vient d'apprendre qu'un seigneur de la cour de l'Empereur l'a acheté pour l'emporter à Vienne ».
La peinture se trouve toujours dans les collections du prince de Lichtenstein.
La gravure, d'une rare délicatesse de couleur, est une des meilleures planches de B. Lépicié, le graveur attitré des scènes intimes et familières de Chardin.

« C'est une cuisinière qui arrive du marché dans sa cuisine et qui apporte du pain et de la viande...», ainsi s'exprime le Mercure de novembre 1742 en annonçant l'estampe, qui est datée de cette même année.
La peinture avait figuré au Salon de 1739; elle est aujourd'hui dans les anciennes collections impériales d'Allemagne; on en connaît des répétitions au Louvre, dans la galerie du prince de Lichtenstein à Vienne et dans la collection Henri de Rothschild.
Elle fait partie de cette série d'intérieurs animés qui ont été popularisés par les excellentes gravures de Lépicié : outre le Bénédicte et la Gouvernante, reproduits ici, on peut encore citer dans ce genre: la Maîtresse d'école, la Mère laborieuse, la Râtisseuse, le Château de cartes, la Fillette a la raquette, le Toton, etc.

 

 

 

 

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