L'estampe est annoncée dans le Mercure du mois d'octobre 1770, comme mise en vente chez l'auteur au prix de 12 livres. D'après cette annonce, la peinture avait figuré au Salon de 1765. Après avoir longuement décrit la scène, qui « se passe dans un belvédère décoré d'un ordre d'architecture toscan », le Mercure loue la composition « non moins recommandable par les grâces et l'élégance du dessein, la douceur des caractères des têtes et la richesse des étoffes, que par l'agrément du costume espagnol qui est aussi celui de la galanterie ».
On pourrait objecter à la présence de la Conversation espagnole dans un ouvrage sur la gravure de genre, que la peinture originale, comme son pendant la Lecture espagnole, devait offrir aux spectateurs renseignés une réunion de portraits; ainsi, la jeune femme assise au centre de la première composition serait la fille de Mme Geoffrin, la Marquise de La Ferté-Imbault, et il faudrait reconnaître la femme de Carle Vanloo dans le personnage principal de la deuxième. C'est Grimm qui a révélé ce dernier détail. C'est aussi lui qui a raconté .l'histoire des deux tableaux, « ordonnés » par Mme Geoffrin à son peintre préféré, exécutés sous ses yeux en 1754 (tout au moins la Conversation) et vendus par elle à Catherine II en 1772, au prix de 30.000 livres (lettres du 1er octobre 1754 et du 15 décembre 1772).
Sans doute, on aimerait mieux que Vanloo fût représenté, dans l'histoire de la gravure de genre, par une belle reproduction de quelque scène de mœurs dans le goût de sa vivante et pittoresque Halte de chasse, du musée du Louvre, plutôt que par ces fantaisies médiocres, dont la froide virtuosité de Beauvarlet accentue davantage encore le caractère artificiel.
Mais, d'une part cette grande page de C. Vanloo est un curieux exemple de ce que XVIIIe siècle goûtait, en fait d'exotisme: la Conversation espagnole, ou son pendant, la Lecture espagnole, auraient aussi bien pu être remplacées ici par la Confidence et la Sultane, du même peintre et du même graveur, la turquerie de celles-ci n'étant alors guère moins appréciée que l'espagnolisme de celles-là. C’est espagnolisme assez fantaisiste, tel que Watteau se plaisait aussi à l'imaginer, et cette turquerie un peu approximative seraient à rapprocher des diverses « figures chinoises » que la mode avait fait naître près d'un demi-siècle auparavant. Ici, du reste, la « couleur locale » ne semble pas avoir été très bien marquée, puisque des contemporains s'y sont trompés: décrivant la Conversation espagnole, Grimm y voit
« une Comtesse flamande », et « veuve », qui plus est... La critique a de ces trouvailles.
D'autre part, le « genre » se justifie encore ici par un argument fort curieux et peu connu: dans l'édition originale du Mariage de Figaro (1784), à la scène 4 de l'acte II, on lit cette indication: « La Comtesse, assise, tient le papier pour suivre. Suzanne est derrière son fauteuil et prélude en regardant la musique par-dessus sa maîtresse. Le petit page est devant elle, les yeux baissés. Ce tableau est juste la belle estampe d'après Vanloo appelée la Conversation espagnole » .Évidemment, Beaumarchais n'avait retenu que les grandes lignes de la composition « espagnole » de Vanloo et Beauvarlet, car, sur l'estampe, « le petit page » est un beau gentilhomme portant barbe et moustaches, et « la Comtesse » a auprès d'elle une jeune fille dont on ne s'expliquerait pas la présence si le jeu de scène indiqué était
« juste » la reproduction de la gravure. Cette remarque n'enlève rien de son intérêt à la note de Beaumarchais: il n'arrive pas souvent, en effet, que le théâtre fasse de pareils emprunts aux arts plastiques; c'est plutôt le contraire qui se produit généralement.